Gazouillis du cœur

-Expériences de nature-

Jouissance. Une tension chaleureuse naît, le frisson remonte du creux du ventre, des entrailles à la poitrine pour s’y loger. Il grandit puis s’expand jusqu’à dépasser la mesure de la conscience rationnelle, il prend à la gorge. On le retient. On retient son souffle, ses pensées. L’attention toute dirigée vers la sensation charnelle, on craint que cette bulle ne s’évanouisse. Mais on la veut plus grande, encore et encore, si agréable. Bulle de plaisir. Une grande inspiration paisible et la tension se relâche, le cœur en joie se met à chanter. J’en souri presque, jetant un regard alentour prudent et pudique. Petit instant de joie intime.

Microcosme d’un cep de vigne

Doux mois de février, courbée sur la vigne, je taille ici l’aste, prépare la nouvelle baguette, débarrasse le cep des trop nombreux sarments, garde un courson. Petite pluie, je frissonne sous le blouson qui commence à coller aux avant-bras. Puis les yeux se plissent, éblouis dans leur travail de taille en simple Guyot. Une chaleur douce dans le dos, à travers l’imperméable noir. Doux réchauffement printanier. Je me redresse vers le rayon de soleil. Paysage bucolique de printemps bordelais. Là, je l’entends à l’intérieur. Mon être vibre pour la première fois depuis longtemps, tellement longtemps que j’avais oublié son chant. Je crois que la sensation est quelque peu différente des joies insouciantes et fugaces de l’enfance. Je n’imaginais pas la découvrir aux côtés des pesanteurs et de la lucidité de l’âge adulte. Encore, j’en veux encore. La psyché sort d’un long hiver…

Faire partie. Travail du sol, à la serfouette pour faire de la place dans les adventices – celles que l’on a pas semées mais qui sont là quand même. Les oiseaux chantent, s’envolent, se posent sur la corde à linge, se renvolent. Concert virevoltant aux musiciens cachés dans les broussailles. Farouches, ils ne se laissent apercevoir qu’à l’occasion de battements d’ailes jusqu’à la branche voisine. Il y a des mots qui font irruption dans l’esprit mais paraissent peut-être crus et creux à l’écrit : c’est comme si la Nature me faisait l’amour. Faire l’amour avec la nature ; une telle chose est-elle possible ? A l’occasion d’une brise, des cris suraigus de campagnols invisibles, d’un paon du jour prenant la pose, la félicité est au rendez-vous. Après quelques quart d’heure au jardin, passés entre contemplation et occupation elle me rend visite.

Les promenades et randonnées dans des lieux naturels n’ont pas le même effet. Pour quelles raisons ? Je m’interroge. Tout au plus suis-je contemplative devant un coucher de soleil, méditative face à la vallée, apaisée par le vert de la canopée. Mais je me sens comme une visiteuse, un être vivant qui a une place à part entière, non comme une part du lieu.

Faire connaissance. Regard dirigé vers le tallus j’avance. Le regard scanne les plantes inconnues. L’aimé va d’un bon pas, trottine dans la descente, court dans la montée, sûrement en songeant aux plaisirs des VTTistes ici. Arrêt net. Pour ma part, je viens de remarquer une délicate demoiselle. Sa photo de profil, je l’ai vue dans un ouvrage sur la faune et la flore de mon département. Il y a longtemps que je désirais la rencontrer en xylème, phloème et cellulose. La voilà devant moi, des feuilles aussi fines et élancées que sa tige s’arquent avant de plonger gracieusement vers le sol. Suspendue la corolle a le port des jacinthes des bois, clochettes comme j’aime à les appeler depuis mon enfance. Interpellé par mon exclamation, l’aimé rebrousse chemin et rejoint mes côtés. Il tente de connaître l’objet de ma surprise, de suivre mon regard dans le tapis chlorophyllien. La texture créée par la teinte des pétales me laisse aussi interdite que devant un tableau de musée parisien. Le regard plonge dans les motifs, uniques et réguliers à la fois, le damier clair nuance le rose en dégradés fascinants. « Frites, Pintade » Je pense que pour une fois l’aimé ne vous insultera pas de clochette, camomille ou millepertuis. Le mnémotechnique fait son petit effet, tout comme vos damiers distingués rappelant le plumage du gallinacé bruyant. Fritillaires Pintade, enchantée de faire votre connaissance.

Il y a des navigations connectée où j’échoue sur le site d’un naturaliste passionné à l’occasion d’une tentative d’identification ou d’une question de comportement animalier. Les titres des pages se terminent en -ptères ou -acea et y défile un lexique qui ferait merveille au Scrabble. Le design rappelle les sites web des enseignants des années 2000. Ni MOOC, ni page interactive ou animation flash, ici c’est html et des sortes de GIF de flèches pour se rendre à la page suivante ou précédente avec des coccinelle emojis en décoration. Le texte s’étale sur toute la largeur de l’écran et le nombre de scroll dépasse vite la dizaine, autant pour remonter. Le choix du fond est souvent douteux et la répétition d’un éventuel motif en mosaïque se révèle fatale au lecteur. Vous visualisez ? En terme de contenu, ils restent inégalables. Pas de jolies idées abstraites ou banalités écologistes qui n’en finissent pas, de dogme de jardinier, l’entrée en matière est immédiate et prenante. Les surprises sont nombreuses.

Trèfle de cœur? Pique de carreau?

Non, Luzerne tachetée, Medicago arabica

Surface d’un amadouvier

« Le nom de ce champignon prendrait racine dans l’ancien occitan amador (amoureux) puisqu’il a quelques tendance à s’enflammer. Ceux qui prépare cette matière ont été appelés des amadoueurs. Ce mot, dans le sens qu’on lui connaît aujourd’hui, est lui aussi lié à l’amadou : « une sorte d’onguent jaune avec lequel les mendiants se frottaient pour paraître malades » (Wiktionary.org). »

Extrait de Rencontre fongique en forêt, blog Miscellanées

Me lier à ces espèces, apprendre leur nom, prendre conscience que je les connais finalement bien peu, que je ne sais pas grand-chose d’elles, de leur vie, de leurs idéaux et de leur personnalité. J’émerge des lectures intimidée par les univers d’une altérité inconnue mais reliée. Sentiment amoureux.

Je laisse ici un podcast d’Arte Radio dans la continuité des sensations que je viens d’exprimer. Retour doux au quotidien.

(cliquer sur l’image pour vous y rendre)

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